Comment des officines privées « ubérisent » la guerre de l’opinion


Une entreprise concurrente grignote vos parts de marché ? Votre adversaire politique grimpe dangereusement dans les sondages ? Votre procès pour corruption approche, et il serait de bon ton de détruire la crédibilité du lanceur d’alerte qui vous accuse ? Aucun problème, vous trouverez facilement quelqu’un qui vous mettra en contact avec un intermédiaire, qui, à son tour, vous présentera un groupe prêt à vous aider en montant de toutes pièces une campagne de désinformation clés en main. Le Monde et ses partenaires internationaux, coordonnés par le collectif Forbidden Stories, ont enquêté sur ces mercenaires de la désinformation qui prospèrent à la croisée des réseaux sociaux, des médias numériques et du cyberespionnage, influençant les opinions publiques, pesant dans l’ombre sur la vie politique et le monde des affaires.

« Story Killers », enquête sur les mercenaires de la désinformation

Durant plusieurs mois, une vingtaine de rédactions, dont celle du Monde, ont enquêté, au sein du consortium Forbidden Stories, sur les entreprises spécialisées dans les manipulations d’opinions publiques et la diffusion de fausses informations. Dans le cadre de ce projet baptisé « Story Killers », trois journalistes du consortium ont notamment pu participer, en se faisant passer pour des intermédiaires d’un potentiel client français, à plusieurs rendez-vous avec des officines vendant des outils d’influence « clés en main ».

Cette enquête a notamment permis de révéler l’existence de « Team Jorge », une très discrète société israélienne qui revendique son ingérence dans plusieurs dizaines d’élections à travers le monde. Elle offre à ses clients un arsenal de services illégaux, depuis le piratage des boîtes e-mail et messageries privées d’adversaires jusqu’à la diffusion massive de campagnes d’influence grâce à un gigantesque réseau de faux comptes sur les réseaux sociaux.

Les services de renseignement n’ont pas le monopole des campagnes de désinformation. Aux côtés des grands organes de propagande russes, iraniens ou occidentaux, une galaxie d’acteurs privés propose leurs services, contre rémunération, pour mener des opérations. Plus ou moins réussies, plus ou moins discrètes, elles servent les intérêts d’entreprises, de candidats à des élections ou de personnalités.

Des sociétés, liées à l’écosystème sécuritaire, notamment en Israël, offrent tout l’éventail des opérations menées par des services de renseignement

Certaines de ces sociétés ont pignon sur rue et proposent des « campagnes non attribuées », c’est-à-dire difficilement traçables, et du « marketing d’influence » relativement légaux, à défaut d’être éthiques, à l’aide de tribunes placées dans des magazines et de faux comptes sur les réseaux sociaux. D’autres, plus discrètes et liées à l’écosystème sécuritaire, notamment en Israël, offrent tout l’éventail des opérations menées par des services de renseignement.

Pour quelques centaines de milliers ou quelques millions d’euros, elles proposent toutes les armes pour détruire la réputation d’un adversaire politique ou d’un concurrent, voire pour l’envoyer en prison : piratage de sa boîte e-mail ou de ses réseaux sociaux, création de faux documents pour l’impliquer dans un scandale financier ou sexuel, publication de tribunes à charge, organisation de fausses manifestations, « tapis de bombes » de messages accusateurs sur les réseaux sociaux, attaques informatiques par déni de service…

Gigantesque vivier d’avatars

Pour la première fois, des journalistes du consortium coordonné par Forbidden Stories ont pu avoir accès à des présentations détaillées des outils et services proposés par ces entreprises, en se faisant passer pour des clients potentiels cherchant à influencer l’opinion dans des pays d’Afrique francophone pour le compte d’une grande société. Au fil d’une série de rencontres, un groupe en particulier, baptisé « Team Jorge », leur a proposé de monter des opérations de désinformation extrêmement élaborées pour servir les intérêts de leur client, en ayant recours à des outils de piratage sophistiqués et à un gigantesque vivier d’avatars, de faux profils techniquement très aboutis, présents sur tous les grands réseaux sociaux.

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